Electricity Maps : La carte des flux électriques mondiaux

Après la panne électrique qui a plongé la péninsule ibérique dans le noir la semaine dernière, difficile de ne pas s’interroger : comment circule l’électricité à travers les frontières ? Qui produit quoi ? Et surtout, à quel coût environnemental ? Pour vous aider à vous rendre compte de l’ampleur de tous ces échanges, je vais vous présenter dans cet article un outil génial qui mérite d’être un peu plus connu : Electricity Maps !

Electricity Maps est une plateforme en ligne interactive qui permet de visualiser en temps réel la production électrique et l’empreinte carbone générée par celle-ci entre de nombreux pays. Elle offre des données détaillées sur la provenance de l’énergie (renouvelable, fossile, nucléaire…) et la manière dont elle circule à travers les différents réseaux, y compris européens…

Mais c’est quoi cet outil ?

Créé en 2016 par Olivier Corradi, un data scientist franco-danois passionné par les statistiques et le climat, Electricity Maps est une plateforme aussi fascinante qu’éclairante (oui, elle était facile celle-là 😁). L’objectif étant relativement simple : retranscrire en temps réel la façon dont l’électricité est produite, échangée et consommée à travers le monde. Sur une carte interactive, on peut observer les flux électriques entre pays, suivre les importations et exportations d’énergie et visualiser comment chaque région alimente et consomme chez ses voisines.

Mais au-delà des flux de l’électricité, Electricity Maps met aussi en lumière son impact environnemental, en calculant l’empreinte carbone associée à sa production. Solaire, hydro, nucléaire, éolien ou charbon : chaque source d’énergie est représentée avec une certaine transparence permettant de mieux comprendre les enjeux du mix énergétique.

Le projet est open source (le code est sur GitHub, pour les curieux) et attire autant les développeurs que les chercheurs. En dehors de la carte que je vais vous présenter ici, il s’agit avant tout d’une entreprise commerciale qui est devenue maîtresse dans la gestion des données liées aux marchés de l’électricité. Son financement passe d’ailleurs par la vente de l’accès à toutes ces informations, c’est grâce à ça que la carte est offerte gratuitement aux curieux comme nous…

Afficher les données… sans compte et gratuitement

L’entreprise a fait le choix de fournir les informations le plus simplement possible au commun des mortels, vous n’avez donc pas besoin de compte ! Les données qui nous intéressent sont accessibles gratuitement, il vous suffit de vous rendre sur le site par cette adresse :

Découvrir et comprendre les données

Les types d’énergies

Le premier point qui me plaît dans Electricity Maps, c’est sa capacité à afficher les méthodes de production de chacun des pays. Vous pouvez savoir quelle est la part d’énergie solaire produite actuellement dans votre région, mais aussi la quantité d’énergie maximale possible (en gros, la puissance installée).

Production de la Suisse au moment où j’écris ces lignes…

Dans la carte ci-dessus de la Suisse, nous pouvons constater que, pour le moment, l’énergie est principalement fournie par nos barrages, mais que nous n’utilisons qu’une petite partie de la capacité totale. On peut aussi constater qu’il ne fait pas particulièrement beau aujourd’hui et que la production solaire n’est pas à son meilleur niveau…

Les imports/exports

Electricity Maps permet aussi de visualiser les volumes exportés/importés depuis tous les pays. C‘est très intéressant pour comprendre les flux du réseau européens.

On peut constater sur l’image ci-dessus que la Suisse est en train d’importer de l’électricité depuis la France. Alors même que sa capacité de production est suffisante… mais pourquoi donc me direz-vous ? Tout simplement qu’il est plus facile de réguler une turbine d’un barrage qu’une centrale nucléaire. Les éoliennes et l’hydroélectrique permettent une souplesse que ne permet pas le nucléaire.

Par exemple, il arrive durant l’hiver que la Suisse préfère racheter du nucléaire et du charbon bon marché tout en revendant à prix d’or l’énergie de nos barrages pour réguler les pics nécessaires aux réseaux de nos voisins. On a d’ailleurs pu lire ces derniers jours que la Suisse joue un rôle crucial sur le réseau européen. Je ne serais pas aussi affirmatif (clairement je ne suis pas un spécialiste), mais disons que l’on contribue à sa régulation avec nos capacités.

Il est clair que, si nous n’étions pas là au milieu, l’équilibrage se ferait ailleurs et je n’affirmerais pas aussi haut et fort que nous sommes « indispensables »… Electricity Maps le montre bien, le réseau européen est entièrement maillé et hautement redondant. Certes nous sommes un facilitateur, mais nous ne sommes pas indispensables 😊.

Les graphiques historiques

Une des forces de l’outil étant sa capacité à traiter de grandes quantités de données et à les historiser. Pour une grande partie des pays, vous allez pouvoir revenir dans le temps ou simplement afficher les valeurs historiques. C’est très instructif pour se rendre compte de l’évolution et possiblement des décisions politiques qui ont entrainé des changements dans les investissements.

Ne pas confondre renouvelable et bas carbone

C’est un peu le paradigme de toute cette histoire, je vous en parle d’ailleurs un peu plus bas avec le cas de la France : renouvelable et bas carbone n’est pas du tout la même chose.

France 29% de renouvelables / Suisse 65% de renouvelables.

En regardant la carte, la France brille toujours en vert… grâce au nucléaire qui fondamentalement n’émet pas de CO2 et offre donc un excellent score de « bas carbone » à la France. Cependant, on peut constater que seulement 29% de l’énergie provient de source renouvelable, comme le soleil. En comparaison la Suisse se situe à 65% grâce à l’hydroélectricité. Donc, attention à l’interprétation des données. Comme indiqué avant, on en parle un peu plus bas dans l’article.

Ensoleillement et vent comme dimension supplémentaire

Avec les informations en direct de production solaire et éolienne, il est intéressant de croiser ces données avec l’ensoleillement actuel et/ou les vents. Energy Maps permet donc d’ajouter à la vue ces deux informations, très rapidement, on peut visualiser l’ensoleillement global au niveau mondial ou le vent d’une certaine région.

La panne espagnole

Dans les données historiques d’Electricity Maps, on peut bien évidemment revenir un peu dans le temps pour visualiser la panne survenue en Espagne. En sélectionnant le pays, puis en descendant un peu dans la fenêtre flottante, on peut visualiser l’origine de l’électricité.

Dans la tranche d’heure qui a généré l’incident, on peut constater que toutes les énergies se sont magnifiquement vautrées, indiquant une panne massive du réseau électrique…

Nucléaire français : ne pas confondre « bas carbone » et « renouvelable »

Oh oui, je vous vois venir, mais vous pensez bien que j’ai volontairement cherché à vous titiller avec ce titre. Mais vous allez voir que l’illusion est bien rodée 😁.

Quand on parcourt Electricity Maps, un détail saute vite aux yeux : la France est souvent habillée d’un très joli vert… en utilisant massivement de l’énergie nucléaire ! Comme je vous le disais plus haut, il ne faut pas confondre bas carbone et renouvelable. Dans la logique du site, le nucléaire est considéré comme une énergie bas carbone, ce qui est techniquement vrai, car les centrales émettent très peu de CO2 en fonctionnement. Mais ce statut laisse place évidemment à la question suivante : mais pourquoi ?!

C’est là que tout se joue quand on navigue sur Electricity Maps : encore une fois, attention à ne pas confondre « bas carbone » et « renouvelable » ! Car, si le nucléaire brille par son efficacité en matière de production stable et massive, il traîne aussi avec lui de boulets bien lourds : déchets radioactifs à très longue durée de vie, risques environnementaux, coûts faramineux de construction et de démantèlement…

C’est beau ce vert, mais ce n’est pas du renouvelable pour autant… C’est même massivement du nucléaire.

Comment est-ce possible me direz-vous ? Cette situation a pris une tournure plus politique en 2022 quand la Commission européenne a validé l’inclusion du nucléaire dans la liste des énergies vertes. Ce fameux règlement définit ce qu’on peut qualifier les investissements « durables ». Une décision accueillit avec soulagement par nos voisins, principal lobby de cette décision, mais avec beaucoup plus de scepticisme ailleurs… vous pensez bien.

Alors, joli tour de passe-passe ? Une chose est sûre : dans les cartes d’Electricity Maps, le nucléaire brille d’un vert un peu trop flatteur à mon avis. Et ça arrange bien certains discours politiques… Mais, comme toujours, les couleurs ne disent pas tout. C’est à nous de creuser et remettre en perspective ce que signifie vraiment une électricité « propre ». C’est un peu comme le nutriscore pour les aliments, il se concentre sur la graisse et le sucre, mais oublie toute la problématique des additifs et autres composants connus pour être toxique… D’ailleurs, il y a Yuka pour ça qui fait un excellent job.

Bref, il est donc important de « réfléchir » aux informations transmises dans Electricity Maps. En résumé Electricity Maps possède un seul gros défaut : ne pas permettre d’afficher les cartes en fonction du niveau de production des énergies renouvelables à la place du niveau d’émission de CO2 alors que le site possède ces informations et les affiche.

Parce qu’il faut conclure…

Electricity Maps n’est pas seulement une jolie carte colorée. C’est un formidable outil pour comprendre les coulisses de notre consommation électrique, les échanges entre pays et l’empreinte carbone qui en découle. Derrière chaque flux, chaque watt échangé, se cachent des choix politiques, techniques et stratégiques. Et c’est en observant ces données, en les remettant en perspective, qu’on commence à entrevoir les vrais enjeux du mix énergétique mondial.

Alors, que vous soyez simple curieux, amateur de data ou militant de la première heure, je vous encourage vraiment à explorer Electricity Maps. C’est une invitation à mieux comprendre l’énergie qui alimente nos vies… et à questionner ce que signifie vraiment une électricité « propre ».

Parce que non, ce n’est pas parce que c’est vert que c’est forcément vertueux 😅💚.

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